TAO YUANMING

TAO YUANMING
TAO YUANMING

Si l’on exclut Qu Yuan qui est très connu mais peu lu, Tao Yuanming est, chronologiquement parlant, le premier grand poète chinois, et peut-être le plus aimé de tous. À première lecture, l’Occidental peut s’étonner de cette admiration; on est en présence d’environ cent cinquante œuvres – poèmes et morceaux de prose très courts – au style sobre et direct, sans métaphores frappantes ou images recherchées, les mêmes thèmes étant constamment ressassés: descriptions du dur travail paysan, plaidoyer pour la vie de retraite contre l’engagement politique. Mais le lecteur chinois y reconnaît la lutte d’un homme absolument seul, qui essaie (et parfois arrive) à se réconcilier, dans ses vers, avec un monde et une tradition qui semblent au premier abord hostiles. Par ses symboles – le pin solitaire, le chrysanthème qui brave le froid, l’oiseau qui sait se réfugier dans son nid le soir –, il a su dépeindre une existence sans appui religieux ou méthaphysique et qui réalise malgré tout un équilibre, ambitions sociales et civiques et dévouement au confucianisme traditionnel trouvant un apaisement dans la simple vie de famille au sein de la nature.

Engagement et personnalité

La première biographie de Tao Yuanming, due à Shen Yue (441-513) dans son Song shu en 493, ne nous renseigne guère que sur ses habitudes de buveur et sur sa façon de recevoir ses hôtes avec une simplicité peu accordée au ritualisme de l’époque. Presque tout ce qu’on sait de sûr à son sujet vient de ses propres œuvres. On n’est même pas d’accord sur son nom personnel: Qian ou Yuanming. Il est né dans une famille de gentislhommes militaires, c’est-à-dire de moindre rang que l’aristocratie de riches et anciens propriétaires fonciers. Son plus célèbre ancêtre, Tao Kan (259-334), était sûrement d’origine très humble et sans doute barbare, et l’un de ces faits suffirait à démentir la généalogie fabuleuse que Tao Yuanming s’était imaginée. Ses origines roturières ont dû peser sur toute sa vie. Pour percer dans la société d’alors, il aurait dû se détourner de la dynastie légitime, prisonnière de la vieille aristocratie, pour accueillir les usurpateurs Song qui renversèrent la dynastie des Jin alors qu’il avait cinquante-cinq ans. Il ne le fit pas et vécut dans le dénuement et l’obscurité, résidant presque constamment dans son village de Chaisang au pied du mont Lu, dans le Jiangxi actuel.

Sa vie politique se résume à quelques titres et à quelques dates: directeur de l’enseignement de sa préfecture en 393, il démissionna bientôt; conseiller militaire en 399, il a peut-être assisté à la campagne contre le révolté Sun En; il fut au service de Huan Xuan avant que celui-ci ne réussît son coup d’État contre les Jin; après le rétablissement de la dynastie en 405, Tao Yuanming devint magistrat (ling ) de la petite localité de Pengze. Ce sera son dernier poste: il le quittera en claquant la porte, affirmant ne point supporter d’avoir à plier la taille devant un «petit bonhomme» provincial pour les quelque cinq boisseaux de grain qu’il touchait comme salaire. Invité à prendre un poste vers 418, il refuse. Dans les cent trente poèmes et les quelques écrits en prose qui sont connus, il est si souvent question d’engagement et désengagement politique que ce problème a dû constituer un des aspects les plus importants de son œuvre et de sa vie.

Éléments d’une dialectique

Tenter de définir l’attitude de Tao Yuanming vis-à-vis de l’engagement politique, c’est buter sur une masse de contradictions qui ne se laissent jamais tout à fait résoudre. En majeure partie, sa poésie constitue un plaidoyer passionné pour la vie de retraite: il est, comme dit Zhong Rong (469-518), «le chef de file des poètes retraités parmi les anciens et les modernes». Dans les poèmes écrits pendant son temps de service, il ne cesse de se lamenter sur la perte des joies bucoliques de sa campagne, loin des tracas de la cour; certains poèmes apparaissent comme de purs hymnes à la vie paysanne; d’autres, enfin, écrits chez lui, dépeignent avec objectivité la vie dure du petit paysan qui cultive lui-même ses terres. Mais parfois il se déclare prêt à affronter la vie politique pour se faire une renommée éternelle, ou bien, dans des poèmes satiriques dont le sens est difficile à démêler aujourd’hui, il témoigne d’un intérêt politique évident; enfin, il lui arrive de chanter les louanges d’antiques héros qui se sont sacrifiés pour leur souverain. À cela, les critiques anciens répondent que Tao Yuanming était un loyaliste des Jin et qu’il a refusé de servir les usurpateurs; mais n’est-ce pas négliger l’essentiel: les fort nombreux textes tout à fait apolitiques qui chantent la joie de vivre en simple paysan?

D’autres contradictions encore marquent toute son œuvre: tantôt il prêche l’acceptation résignée, presque joyeuse, de la mort, tantôt il l’envisage avec une profonde angoisse, ou bien encore il prêche une sorte de laisser-aller taoïste, un retour à la spontanéité naturelle et amorale, à moins qu’il ne chante les héros confucianistes, modèles de devoir et de moralité traditionnelle. Partout des antinomies, partout aussi un style sûr, apparemment simple et direct, qui cache d’insondables tensions, et une grande complexité. On pourrait voir là l’effort d’un homme qui, tout en restant profondément ancré dans la tradition, essaie de se constituer un nouveau domaine, celui de l’homme particulier, désengagé, vivant de ses mains, jouissant des amitiés bucoliques, loin des grands de ce monde. Mais est-il totalement dégagé de l’État? Il semble que les critiques n’ont pas tort de considérer la retraite de Tao Yuanming comme un refus, consacré par une tradition millénaire, de servir pendant une période de troubles et d’usurpation. Et ces oppositions montrent à quel point il était difficile à un Chinois au Ve siècle de créer et puis d’accepter lui-même une vue du monde qui donnerait une place à l’homme privé.

L’évasion qu’il cherche dans le vin et dans le monde imaginaire est un autre indice de cette difficulté. Il décrit les joies pures et simples que lui procure le vin, mais la mélancolie qui remplit ses poèmes fait penser qu’il a le vin triste: c’est un constat d’échec. Ses lectures du Shanhai jing , le Livre canonique des montagnes et des mers , et le Récit de la source aux pêchers , première utopie de la littérature chinoise, prouvent aussi qu’il cherche à éluder les contradictions et les tristesses de ce monde.

Une poésie au niveau de l’homme

Mais c’est pour d’autres raisons que sa poésie a survécu et que sa renommée n’a pour ainsi dire pas cessé de grandir. La reconnaissance de la postérité a été lente mais sûre, consacrée surtout par l’adulation des poètes des Tang (VIIe-IXe siècle) et de Su Shi et de Zhu Xi plus tard. Il a triomphé sur tous ses contemporains par la qualité de son style, mais aussi par sa conception originale de la vie. Son traditionalisme s’affirme dans toutes ses allusions à Confucius, aux rites antiques, à la famille, aux héros, mais est nuancé par une absence de raideur morale et du culte de la hiérarchie, héritée, elle, du taoïsme. Pas trace d’influence bouddhique ou si peu pour un homme qui a passé sa vie à l’ombre du mont Lu, le centre bouddhique le plus actif dans le sud de la Chine à son époque. Sa poésie est existentielle, libre de préjugés; elle aborde la vie au niveau de l’homme nu qui cherche à trouver, sans appui extérieur, sa place dans le monde. C’est ce qui explique sa vogue parmi les poètes Song, dans une Chine en grande partie laïcisée, et le pouvoir de certains de ses vers qui sont parmi les plus célèbres de la poésie chinoise:

En cueillant des chrysanthèmes sous la haie de l’est,
Je vois, au loin, la montagne du sud.

Il a donné, dans ces vers d’une grande simplicité, une vision sans apprêt du monde «tel qu’il est», où réside une «vérité» qui est, selon son expression, «indicible».

Encyclopédie Universelle. 2012.

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